jueves, 13 de junio de 2013

TROIS RENCONTRES AVEC L'AUTEUR ET LE TRADUCTEUR À RENNES


 On va avoir l’opportunité de discuter sùr Brume rouge et son contenu philosophique avec Armand Molina (auteur) et Laurent Le Berre (traducteur)

Le samedi 22 juin, à 19h,
à la Librairie Pécari Amphibi
1 rue Saint Louis
place Sainte-Anne
Rennes

Le lundi 24 juin, à 19h,
à La Cour des Miracles
18 Rue de Penhoët
Rennes

(À côté de la place Sainte Anne)
Le mardi 25 juin, à 19h,
à l'Atelier de l'artiste
2 Rue Saint-Louis
Place Sainte Anne
Rennes
SOIRÉE TAPAS, VIN ESPAGNOL ET SESSION MUSIQUE IRLANDAISE À LA FIN

Chapitre 4 - Pour quoi les hommes se tuent entre eux...

Le livre, n’était pas un livre. Ce n’étaient que deux épaisseurs de vieux carton décoloré. Il n’y avait aucun feuillet à l’intérieur. Avec la seule main dont je pouvais encore me servir, je le retournai dans tous les sens, cherchant un signe, un indice, quelque chose. Mais il n’y avait rien. Je le lâchai sur mon lit, et restai regarder le plafond de ma chambre d’hôpital.
Je ne pouvais croire que cet ancêtre si aimable, après m’avoir sauvé la vie, me fasse cette farce. Tout en réfléchissant, je caressais mécaniquement le carton rugueux du bout des doigts. Je commençai à remarquer que la texture de la matière changeait légèrement. Elle paraissait plus douce, et plus chaleureuse. Je le pris de nouveau et l’observai attentivement. La couleur était plus vive, et des lettres dorées, que je n’avais pas vues auparavant, disaient :

« POURQUOI LES HOMMES SE TUENT »

Très lentement, mes fébriles doigts soulevèrent la couverture. Il n’y avait toujours pas de page mais, cependant, l’intérieur s’illumina progressivement, jusqu’à m’aveugler pratiquement. Soudain apparut, flottant juste devant moi, une insolite créature qui paraissait s’être échappée d’un conte de fées.
Elle n’était pas plus grande qu’un doigt, et ses somptueuses ailes de couleurs brassaient l’air avec élégance. Son minuscule petit corps était celui d’un jeune homme au teint bronzé, et à la chevelure brune et luisante.
« Bonjour Jack » gazouilla-t-il comme un petit oiseau. Il se maintenait à quelques centimètres de mon visage, dans un vol parfaitement stationnaire. Son regard clair et intense paraissait me parcourir de l’intérieur.
Sous l’effet de la surprise, je fus incapable d’articuler quoi que ce soit. Alors il se mit à voleter dans toute la chambre, faisant le curieux de ci de là.
Passées quelques minutes, suffisantes pour me rassurer, il revint à ma hauteur. Il me regardait avec un grand sourire sur les lèvres.
«  -Qui es-tu, lui demandai-je.
-Je m’appelle Quiti, répondit-il d’une voix de clarinette, et je suis ici pour répondre à la  question que tu te poses.
-Qu’est-ce que tu es, continuai-je, un sylphe, ou quelque chose du genre ?
-Je suis un Mucien, révéla l’étrange créature, et je viens d’une planète, qui s’appelle Mu.
-Je n’ai jamais entendu parler de cette planète.
-Ca ne m’étonne pas ; même avec le plus puissant de vos télescopes vous ne pourriez pas la détecter. La planète Mu se trouve dans le monde de l’imagination.
-Alors tu n’existes pas, dis-je à ce petit être qui, paradoxalement, se tenait devant moi.
-Ne te laisse pas prendre au piège du mot « imagination », m’avertit le tout petit Mucien, parce que mon monde peut être bien plus réel que le tien. »
Mon visage dut paraître étrange, car il ajouta :
« Tu verras plus tard. »
Et en se rapprochant encore davantage :
«  -Eh bien Jack, tu as posé une question au vieux Cheng, veux-tu en connaître la réponse ?
-Bien sûr que je le veux, Quiti.
-Très bien…Mais ne t’attends pas à ce que je réponde en te donnant une simple explication, comme vous avez l’habitude d’en donner ici sur Terre. S’il y a quelque chose que vous ne comprenez pas, vous inventez aussitôt un concept mental pour combler cette lacune, comme un morceau d’étoffe. Mais ce concept ne sera jamais la réalité. La véritable connaissance découle de la compréhension offerte par l’expérience. Ni rien ni personne, pas même le moindre livre, ne peut te l’apporter. 
« Même si tu as du mal à le croire, Jack, vous vivez tous dans un océan de concepts, ou, en d’autres termes, dans un monde d’illusions. Mais ce n’est pas cela le plus triste ; le plus triste, c’est que vous êtes convaincus de tout savoir. »
Cette longue causerie m’avait assommé, et sans le vouloir je fis tomber le livre qui se referma sur le lit. L’être minuscule disparut instantanément.
Je récupérai avec une certaine nervosité le morceau de carton tout plié, et le rouvris. Tout se répéta alors : la couleur se revivifia, l’intérieur s’illumina, et le Mucien réapparut.
«  -Jack, essaye de manipuler le livre avec un peu plus de précaution, rouspéta ironiquement Quiti, un changement si soudain de dimension, n’est pas très agréable.
-Je suis désolé, m’excusai-je.
-Bon, Jack, continua le Mucien en se rapprochant de mon oreille, comme je te le disais, tu vas devoir chercher toi-même la réponse à ta question. Moi, je me contenterai de te raconter une histoire. Une histoire vraie qui s’est passée dans mon monde. Une histoire très semblable à celle que vous autres humains avez vécue, et continuez de vivre.
-Pardonne-moi Quiti, l’interrompis-je, mais tout à l’heure tu as dit que c’est l’expérience qui apporte la compréhension ; comment est-ce que je vais comprendre quelque chose à partir d’une simple histoire ?
-Le terme d’ « histoire » ne signifie pas la même chose sur votre planète et sur la mienne, expliqua le Mucien, attend un peu et tu le comprendras. »
Il se rapprocha encore un peu plus de mon oreille. Sa petite voix, à présent plus posée, m’enivrait petit à petit :

« Les arbres empêchent de voir la forêt, Jack. C’est pour cela que vous autres, pleins de problèmes, ne pouvez distinguer la véritable situation dans laquelle vous vous trouvez. Comment voir quelque chose d’évident mais que vous ne pouvez cependant pas voir ? Eh bien, en changeant de point de vue. Et c’est précisément là ce que je vais faire, en te racontant l’histoire des Muciens.»

Capitre 11 - Le système capitaliste...

«  Dans le village de la plaine, la vie s’écoulait paisiblement. Dès que le jour se levait, chacun se rendait à son verger. Tous s’en occupaient soigneusement, puisque c’était là le seul moyen qu’ils avaient de survivre.
«  L’eau était leur principale préoccupation. S’ils s’arrêtaient de l’arroser un seul jour, leur récolte s’asséchait. Lorsqu’il pleuvait, il n’y avait pas de problème, l’arrosage se faisait tout seul, et en plus ils disposaient de l’eau des flaques pour un certain temps. Mais si la pluie mettait du temps à tomber, il leur fallait sortir du village. Ce qui supposait un risque.
«  Ils ne pouvaient oublier la bête velue. Mais ils n’avaient pas d’autre choix que de courir ce risque. Avec quelques récipients en bois, ils recueillaient l’eau d’une petite source, ils revenaient à leur vergers, et versaient le précieux liquide au pied d’une plante. Ensuite ils répétaient toute cette opération pour arroser la plante d’à côté. Et c’était comme cela que passait la journée.
«  Lorsque le soleil retombait à l’horizon, et avant d’aller se reposer dans leurs cabanes, ils se réunissaient en petits groupes pour échanger des impressions. Ils parlaient du progrès de leurs récoltes, des éventuels changements météorologiques, ou de n’importe quoi d’autre qui ait trait à leurs vies monotones.
«  De temps en temps, un Mucien à l’imagination hors du commun inventait les histoires de lointaines contrées, remplies de fleurs et de bonheur, et où travailler n’était pas une nécessité. Même s’il n’était désagréable pour personne d’écouter ces contes, ils pensaient tous que ces poètes inspirés devaient être un peu à l’ouest.
«  Les jours se suivaient et se ressemblaient les uns les autres, jusqu’à ce qu’un Mucien appelé Lauriel, se mette à flâner dans le village, avec un élégant chapeau sur la tête. »
Il était maigre, et de teint sombre.  Il marchait, souriant et sans se presser, vacillant sur ses maigres petites jambes. Avec sa tête guindée, ses petits yeux vifs et son nez proéminant, il donnait l’impression de toujours désigner quelque chose devant lui. Il portait un extravagant chapeau pointu, fait de morceaux de bois et d’herbes tressées.
Tous restèrent bouche bée à son passage.
« Où est-ce que tu as trouvé ce bel accessoire, lui demanda l’un. »
Lauriel s’arrêta, et il répondit, très fièrement :
« C’est moi-même qui l’ai fabriqué. »
Un cercle se forma aussitôt tout autour de lui.
«  -Si tu m’en fais un pareil, je te donnerai une tomate de mon verger, dit l’autre.
-Moi aussi je veux un couvre-tête comme celui-là, dit un autre.
-Et moi !
-Moi aussi ! »
La clameur du groupe attira davantage de Muciens. La parure distinguée de Lauriel était le centre de toutes les attentions dans le village. Finalement, personne ne voulait être moins élégant que son voisin.
« D’accord, s’exclama Lauriel, je vous en ferai un à chacun ! Mais vous devez prendre quelque chose en compte… »
Avec un regard étincelant d’intelligence il observa ses potentiels acheteurs.
« Si vous vous mettez une tomate sur la tête, continua-t-il, vous allez avoir l’air ridicule. Cependant, mon chapeau, en plus de faire joli, peut se manger, puisqu’il est fait en herbe ».
L’audience ne comprenait rien. Mais Lauriel poursuivait son raisonnement :
«  -Cela signifie que mon chapeau vaut bien plus qu’une tomate.
-Nous te donnerons ce que tu nous demanderas, répondirent-ils tous.
-Très bien…donnez-moi un peu de temps, conclut Lauriel. »
Il leva son chapeau pour prendre congé, et s’éloigna, pensif.
Tous étaient bien décidés à lui donner les fruits de leurs vergers. Cela signifiait que lui, il n’avait plus besoin de travailler dans le sien. C’était bien. Mais il y avait un inconvénient : cela lui avait déjà coûté assez de travail de faire un seul chapeau sans avoir à penser à en fabriquer des tas. Il valait pratiquement mieux continuer à travailler son verger et oublier cette affaire.
Lauriel réfléchit…réfléchit…tout en marchant.

«  Alors il eut une idée. Une idée inouïe. Une idée qui allait complètement révolutionner la vie paisible du village de la plaine. Il n’aurait plus besoin de travailler, ni en faisant des chapeaux, ni en s’occupant de plantes. »

Les scènes défilaient devant moi comme un film en accéléré. Quiti continuait de commenter.

«  Lauriel sollicita l’aide de quelques Muciens pour fabriquer les chapeaux. En échange il leur en donnerait un gratuit. En quoi consistait cette aide ? En un travail à la chaîne.
«  A chaque bénévole il apprit une partie du processus de fabrication. Au bout de la chaîne, le dernier assemblait toutes les parties. Grâce à ce système, Lauriel avait l’assurance qu’aucun d’eux ne pourrait faire de chapeau pour son propre compte.
«  Ils commencèrent par construire une grande cabane ; ils l’appelèrent la cabane de besogne. Ce fut ensuite que la production commença.
«  Tout allait bien. Les matières premières entraient par une porte, les chapeaux ressortaient par une autre, et ils terminaient sur la tête des prétentieux villageois.
«  Mais le jour arriva, où les Muciens ouvriers se retrouvèrent sans tomate. Et c’était à prévoir, parce qu’ils ne pouvaient pas être à deux endroits à la fois ; ou bien ils travaillaient à la fabrique, ou bien ils restaient auprès de leur verger. Lauriel, qui ne savait que faire de toutes ces tomates qu’il recouvrait de ses ventes, leur fournit de quoi subsister.
«  Alors il dut changer les conditions qu’il avait préalablement établies : les travailleurs ne seraient plus des bénévoles, mais des employés ; ils ne recevraient pas non plus de chapeau gratuit, et devraient s’en acheter un comme tout le monde.
«  Pour simplifier le troc et les compensations par le travail, il eut l’idée d’une sorte de monnaie, qui consistait en de petits cailloux ronds et plats qu’il frappait lui-même.
«  Les échanges se faisaient de cette manière : les jardiniers remettaient à Lauriel dix tomates en échange d’un chapeau ; le solde des employés était d’un ou deux cailloux plats par jour, en fonction de la catégorie de leur activité ; avec un caillou plat ils pouvaient acheter une tomate dans le magasin de tomates ; et ceux qui réussissaient à rassembler dix pièces plates pouvaient s’acheter un chapeau.
«  Jack, tu dois te demander comment Lauriel a réussi à duper les Muciens ouvriers pour qu’ils abandonnent leurs vergers, alors qu’il était plus facile de réunir dix tomates que dix cailloux plats en travaillant durement…Eh bien tout simplement, parce qu’ils considéraient que travailler dans une manufacture de Lauriel, les plaçait à un rang social supérieur à celui des simples jardiniers. »
Les jours passèrent, et le moment vint où, enfin, tous les habitants du village de la plaine arborèrent un chapeau pointu sur la tête.

«  L’entrepreneur Lauriel, craignant alors le déclin de son industrie, accrocha une drôle de plume artificielle sur le sien. Comme c’était prévisible, ils en ont tous voulu une. »

A côté de la grande cabane destinée à élaborer les chapeaux, on en construisit une autre pour fabriquer des plumes de couleur.

«  Lauriel embaucha davantage de Muciens et de Muciennes, qui furent également obligés d’abandonner leurs vergers.
«  Et ils commencèrent à manquer de tomates…
«  Lauriel s’en aperçut aussitôt, et profita de l’occasion pour réaliser une nouvelle affaire : la culture de tomates en masses. Pour cela il employa un autre groupe de villageois. Ils clôturèrent un grand terrain autour de la source, et le traitèrent pour recevoir les semailles.
«    En peu de temps, Lauriel commença à refuser de recevoir des tomates en échange de ses produits. Et le peu de villageois qui restaient, angoissés, abandonnèrent immédiatement leurs vergers pour travailler dans les industries du village ; autrement, de quelle autre manière allaient-ils pouvoir acheter des plumes pour chapeau ? »

***
«  Lauriel continua d’inventer toutes sortes de produits absurdes, pratiquement tous en rapport avec l’apparence physique. Les cabanes de besogne occupaient une grande partie de la population. Tous les Muciens et les Muciennes y travaillaient ; et c’étaient eux-mêmes qui consommaient ce qu’ils fabriquaient. Ils devaient travailler de plus en plus, parce qu’il y avait de plus en plus de choses absurdes à consommer.
«  Au bout d’un certain temps, les habitants du village de la plaine commencèrent à se fatiguer de la vie qu’ils menaient.
«  Lauriel était inquiet. Il avait peur que ses employés finissent par se rendre compte qu’ils étaient tombés dans un piège. Parce qu’en réalité il s’agissait bien d’un piège perfide, échafaudé de telle sorte que personne ne puisse en réchapper. Mais il soulageait sa conscience en se disant que les véritables coupables de cette situation, de ce genre d’esclavage volontaire, c’étaient eux-mêmes, parce qu’ils lui avaient demandé des chapeaux. Lui, il s’était contenté d’organiser le travail.
«  Mais cette organisation l’avait amené à devenir le maître et le seigneur du village. La création élémentaire du Pouvoir le gardait entre ses griffes, de sorte qu’il lui était désormais impossible de faire marche arrière.
«  Comme je te le disais, Jack, Lauriel était inquiet de l’apathie et de la fatigue qu’il avait remarquées chez ses employés. Ils ne se réunissaient plus comme auparavant pour se parler ou pour faire des veillées.
«  Il devait trouver comment les entretenir, quelque chose qui aurait été capable d’alimenter leur désir réprimé d’aventure et de distraction.
«  Et il y est parvenu ; à l’aide d’une nouvelle affaire.
«  Il fit construire une gigantesque scène au milieu du village, que l’on décora en y peignant de jolis paysages. Il engagea un groupe de Muciens acteurs pour que tous les soirs, devant ce décor illuminé par de nombreux flambeaux, ils fassent semblant de vivre d’émouvantes aventures.
«  A la fin de leur journée de travail, les employés de Lauriel s’agglutinaient devant la grande scène pour assister au spectacle. L’entrée n’était évidemment pas gratuite, aussi devaient-ils travailler encore un petit peu plus. Ils s’identifiaient aux acteurs de manière à croire que c’étaient eux-mêmes qui vivaient ces aventures.
«  En plus de détendre et de stimuler ses travailleurs, Lauriel trouva à cette diversion collective une autre utilité : celle de promouvoir ses nouveaux produits. »

Au point culminant de l’aventure factice, l’action s’arrêtait subitement, et une grande affiche apparaissait, sur laquelle était écrit : « Qui portera ce merveilleux ruban autour du cou, sera plus élégant, et plus important. »
Le lendemain commençait la construction d’un nouveau bâtiment : une cabane pour élaborer les rubans à porter autour du cou.

***

 « Bon, Jack, l’intense activité du village de la plaine a dû t’épuiser. Je te conseille de refermer le livre et de dormir un peu… »